I
SUR DÉCISION DE L’AMIRAL.

Un huissier de l’Amirauté ouvrit la porte de la petite antichambre et dit poliment :

— Pourriez-vous, Monsieur, avoir l’obligeance de patienter ?

Il s’effaça pour laisser passer le commandant Richard Bolitho et ajouta :

— Sir John sait que vous êtes là.

Bolitho attendit que la porte fût refermée, et se rapprocha du feu qui crépitait dans la vaste cheminée. Il était soulagé que l’huissier l’eût introduit dans cette petite pièce, et non dans une vaste salle d’attente. Tandis qu’il se hâtait vers l’Amirauté, fouetté par les giboulées qui balayaient Whitehall, il avait envisagé avec appréhension l’attente dans une de ces pièces étouffantes, encombrées d’officiers en demi-solde dont les regards envieux suivaient les allées et venues des visiteurs plus favorisés par le sort.

Bolitho connaissait leurs sentiments : il s’était dit plus d’une fois qu’il était plus chanceux que bien de ses pairs. Revenu en Angleterre un an plus tôt, il avait trouvé le pays en paix, les villes et les villages grouillant de marins et de soldats démobilisés, souvent indésirables. Avec sa demeure de Falmouth, sa propriété foncière et toutes ses parts de prise conquises de haute lutte, il savait qu’il n’était pas à plaindre.

Il s’écarta du feu et regarda par la fenêtre le large boulevard. Il avait plu pendant presque toute la matinée mais, à présent, le ciel était à peu près dégagé ; sous la lumière acide du printemps, les nombreuses flaques et ornières prenaient des reflets d’azur. Seuls s’opposaient à ces couleurs printanières les naseaux fumants des nombreux chevaux qui allaient et venaient, ainsi que les silhouettes penchées malmenées par le vent.

Il soupira. C’était le mois de mars 1784 ; un an à peine qu’il était rentré des Antilles, mais cette courte période lui avait paru un siècle.

Chaque fois que cela était possible, il avait quitté Falmouth pour entreprendre le long voyage de Londres, jusqu’au siège de l’Amirauté où il se trouvait à présent ; il avait essayé de savoir pourquoi ses lettres étaient restées sans réponse, pourquoi on ignorait ses demandes réitérées d’un nouveau commandement, quel qu’il fût. On se bousculait dans les salles d’attente. Les voix familières de ceux qui racontaient des hauts faits de guerre et de navigation étaient à présent moins naturelles, moins confiantes ; jour après jour, ils étaient éconduits. On désarmait les navires par douzaines ; chaque port était encombré d’épaves humaines rejetées par la mer : marins estropiés, rendus sourds ou aveugles par le feu des canons, devenus presque fous à cause de ce qu’ils avaient vu et enduré. Depuis la signature du traité de paix, l’année précédente, les rencontres de ce genre étaient si nombreuses qu’il devenait inutile de les citer, et trop fréquentes pour laisser la place à l’espoir.

Il se raidit quand deux silhouettes tournèrent au coin de la rue sous sa fenêtre. Même sans les revers de leurs habits rouges en lambeaux, il aurait pu les identifier comme deux soldats. Une voiture de maître était rangée au bord de la rue, avec les chevaux qui encensaient pour atteindre le contenu de leur sac. Le cocher bavardait avec un laquais élégamment vêtu devant la maison voisine, et ni l’un ni l’autre n’accordait la moindre attention aux deux anciens combattants en guenilles.

L’un de ces derniers poussa son camarade contre une balustrade de pierre et s’avança vers la voiture. Bolitho comprit que l’homme cramponné aux balustres était aveugle ; il gardait la tête tournée vers le boulevard, essayant de deviner la direction prise par son compagnon. Il n’y avait guère besoin d’explications supplémentaires.

Arrivé à la hauteur du cocher et du laquais, le soldat tendit la main. Il n’était ni arrogant ni servile, mais curieusement émouvant. Le cocher hésita, puis se mit à fouiller dans la poche de son lourd manteau.

À cet instant, un autre personnage descendit légèrement les quelques marches de la maison et ouvrit à la volée la porte de la voiture. Il était élégant, chaudement vêtu, et les boucles de ses souliers brillaient au soleil comme des diamants. Il considéra un instant le soldat, puis donna un ordre sec au cocher. Le laquais se précipita à la tête des chevaux et, quelques secondes plus tard, la voiture s’éloignait avec fracas à travers les embarras de calèches et de charrettes. Le soldat la regarda disparaître, puis haussa les épaules d’un air las. Il revint vers son camarade et, bras dessus, bras dessous, tous deux s’éloignèrent lentement vers la rue suivante.

Bolitho empoigna le loqueteau de la fenêtre, mais celui-ci était coincé ; il bouillait de colère et de honte d’avoir assisté à pareille scène.

Une voix demanda :

— Puis-je vous être de quelque assistance, Monsieur ?

L’huissier était de retour. Bolitho répliqua :

— Je voulais jeter quelques pièces à deux soldats estropiés.

Il s’arrêta net : il avait aperçu dans les yeux de l’huissier un discret éclair de surprise.

— Que Dieu vous bénisse, Monsieur, dit ce dernier, vous vous habituerez vite à ce genre de spectacle à Londres.

— Pas moi.

— J’allais vous dire, Monsieur, que sir John va vous recevoir.

Bolitho le suivit à nouveau dans le corridor, conscient d’avoir soudain la gorge sèche. Il se rappelait de façon précise sa dernière visite en ce lieu, un mois plus tôt presque jour pour jour. Alors, il avait été convoqué par lettre et on ne l’avait pas laissé ronger son frein dans une salle d’attente. Il avait cru vivre un rêve, être frappé d’un coup de chance extraordinaire. En dépit des difficultés qui s’étaient accumulées depuis, il croyait toujours rêver.

Au nom de Sa Majesté britannique, il devait prendre sans délai le commandement de l’Undine, frégate de trente-deux canons, pour le moment en cours de ragréage dans une cale sèche de Portsmouth.

Alors qu’il se hâtait vers l’Amirauté à cette occasion, les yeux attentifs des laissés-pour-compte avaient été témoins de sa jubilation ; il se sentait coupable de leur jalousie et de leur ressentiment.

Sa prise de commandement lui avait coûté fort cher : il avait dû exercer des pressions du côté de l’arsenal, faute de quoi personne n’aurait fait le nécessaire pour préparer l’Undine à prendre la mer. On avait réduit les effectifs de la marine à un quart de ce qu’ils étaient en temps de guerre : Bolitho avait eu la surprise de constater qu’il était à présent plus difficile d’obtenir des filins et des espars de rechange. Un charpentier de marine désabusé le lui avait clairement laissé entendre : les officiels de l’arsenal préféraient augmenter leurs profits en traitant avec des courtiers indépendants plutôt que d’aider une petite frégate.

Il avait soudoyé, menacé, rudoyé ; à l’arsenal, tout le monde finissait par le connaître, et il obtint plus ou moins ce qu’il lui fallait. Chacun attendait son départ pour pouvoir reprendre ses petites affaires.

Il avait fait le tour de la cale sèche, considérant la nouvelle unité qui lui était confiée. Ses sentiments étaient partagés. Il se sentait surtout excité, il s’agissait d’un nouveau défi. Fini ce pincement au cœur chaque fois qu’il voyait, à Falmouth, un vaisseau de guerre arrondir la pointe sous le château ! Mais il avait également découvert autre chose. Le dernier navire qu’on lui avait confié était la Phalarope, une frégate très semblable à l’Undine, quoique plus longue de quelques pieds. Pour Bolitho, elle représentait tout, peut-être à cause de ce qu’ils avaient vécu ensemble. Aux Antilles, pendant la bataille des Saintes, sa précieuse Phalarope avait presque été réduite à l’état de ponton par les boulets ennemis. Il n’y en aurait plus jamais une autre comme elle, c’était impossible. Mais, tandis qu’il longeait les bajoyers de la cale sèche, il avait ressenti une allégresse nouvelle.

Pendant ce court passage en bassin de radoub, il avait reçu la visite sans préavis du contre-amiral sir John Winslade, celui-là même qui l’avait accueilli à l’Amirauté. L’amiral ne lui avait pas dit grand-chose, se contentant de déclarer, après une inspection superficielle du navire et des préparatifs de Bolitho :

— Maintenant je puis vous le dire : je vous envoie en Inde. C’est tout ce que je peux vous révéler pour le moment.

Jetant un regard aux rares gréeurs au travail sur les vergues et les haubans, il avait ajouté sèchement :

— Mais j’espère pour vous que vous serez prêt à temps.

Ces quelques mots de Winslade étaient lourds de sous-entendus. Les officiers en demi-solde ne manquaient pas. Trouver un équipage pour un navire du roi hors l’urgence de la guerre et sans l’aide des équipes de racoleurs, voilà qui était nouveau pour Bolitho. Si l’Undine avait eu pour destination des eaux plus connues, les choses eussent été bien différentes. Et si Bolitho n’avait pas été Bolitho, il aurait tenu sa destination secrète le temps d’enrôler suffisamment de marins, et qu’il fût alors trop tard pour déserter.

Comme il était d’usage, il avait distribué dans le port et dans les villages voisins des prospectus aux phrases fleuries. Il avait envoyé des équipes de recruteurs jusqu’à Guildford, sur la route de Portsmouth, mais sans grand succès. À présent, tandis que l’huissier ouvrait pour lui de hautes portes dorées, il savait que l’Undine avait encore besoin de cinquante hommes.

Sur un point, Bolitho avait eu plus de chance. Le commandant précédent de l’Undine avait rassemblé une très bonne équipe d’hommes clefs. En prenant ses fonctions, Bolitho s’était rendu compte que l’Undine avait encore une excellente maistrance, un voilier hautement qualifié et l’un des charpentiers les plus économes qu’il eût jamais vus au travail. Son prédécesseur avait quitté la marine définitivement pour faire carrière au Parlement. Comme il le disait lui-même :

— J’en ai assez de me battre à coups de boulets. Désormais, mon jeune ami, je me battrai à coups de calomnies !

Le contre-amiral sir John Winslade était debout le dos au feu, écartant ses basques pour mieux se réchauffer. On ne savait pas grand-chose à son sujet. Il s’était vaguement distingué dans un engagement individuel devant Brest, puis avait trouvé un poste tranquille à l’Amirauté. Il n’y avait rien de remarquable dans ses traits pâles et austères. Ils étaient même si communs que c’était à se demander si son habit à galons dorés avait été coupé pour lui ; il faisait plutôt songer à un mannequin.

Bolitho avait vingt-sept ans et demi, mais deux commandements derrière lui, et il connaissait suffisamment les amiraux pour ne pas se fier aux apparences.

Winslade laissa retomber ses basques et attendit que Bolitho arrivât à sa portée. Il lui tendit la main :

— Vous êtes à l’heure. Tant mieux. Nous avons beaucoup à nous dire.

Il s’approcha d’une petite table laquée.

— C’est du bordeaux, dirait-on.

Il eut un premier sourire, frêle et passager comme le soleil de Whitehall.

Il avança une chaise à Bolitho.

— A votre santé, commandant. Je présume que vous savez pourquoi j’ai voulu qu’on vous confie ce commandement ?

Bolitho s’éclaircit la gorge.

— J’imagine, Monsieur, que comme le commandant Stewart se lance dans la politique, il vous faut…

Winslade eut un sourire las.

— Je vous en prie, Bolitho. Que votre sincérité assigne ses limites à votre modestie et non pas le contraire. Me suis-je bien fait comprendre ?

Il but une petite gorgée de bordeaux et continua de la même voix sèche :

— Pour cette mission particulière, je dois pouvoir répondre du commandant de l’Undine. Vous serez à l’autre bout du monde. Je veux savoir ce que vous avez dans la tête, de façon à prendre mes décisions au vu des dépêches que vous me ferez parvenir en temps utile.

Bolitho essaya de se détendre.

— Merci, dit-il avec un sourire contraint. Merci pour votre confiance, Monsieur.

— Exactement.

Winslade tendit la main vers la carafe.

— Je connais vos antécédents ; et vous avez été bien noté, surtout lors de la dernière guerre contre la France et ses alliés. En poste en Amérique, vous vous êtes bien comporté. Une vraie guerre et une rébellion sanglante en Amérique ont dû être une bonne école pour un commandant si jeune. Mais la guerre est finie. C’est maintenant à nous, dit-il avec un léger sourire, à certains d’entre nous, de nous assurer que nous ne serons plus jamais acculés dans une situation pareille, sans issue.

— Nous n’avons pas perdu la guerre, Monsieur ! s’exclama Bolitho.

— Nous ne l’avons pas gagnée non plus. C’est cela qui compte.

Ce qui évoqua à Bolitho sa dernière bataille. Les hurlements et les cris de tous côtés, le fracas des bouches à feu et des espars brisés. Tant de morts en un jour ! Tant de visages familiers balayés à jamais ! D’autres avaient survécu, comme ces deux soldats en haillons devenus de misérables fantômes.

— Nous avons fait de notre mieux, Monsieur, ajouta-t-il doucement.

L’amiral le toisait, songeur.

— Je veux bien le croire. Vous n’avez pas gagné la guerre, mais vous avez gagné du temps. Le temps de respirer et d’envisager la situation.

— Vous pensez que la paix ne durera pas, Monsieur ?

— Un ennemi est toujours un ennemi, Bolitho. Seul le vaincu connaît la paix. Oh, oui ! nous combattrons de nouveau, soyez-en certain.

Il reposa son verre et poursuivit d’un ton cassant :

— Maintenant, votre navire. Etes-vous prêt ?

Bolitho croisa son regard :

— Il me manque toujours des hommes, mais le navire est aussi prêt qu’il peut l’être, Monsieur. Je l’ai fait déhaler de l’arsenal il y a deux jours ; il est à présent mouillé dans la rade de Spithead, dans l’attente des derniers avitaillements.

— Combien d’hommes vous manque-t-il ?

La question laissait peu de place à des manœuvres dilatoires.

— Cinquante, Monsieur. Mais mes lieutenants sont encore en train d’en chercher.

L’amiral ne cilla pas.

— Je vois. Bon, c’est votre affaire ; en attendant, je vais vous obtenir un mandat pour recruter quelques « volontaires » dans les pontons pénitentiaires du port de Portsmouth.

— Dommage, de devoir se contenter de détenus.

— Ce sont des hommes. C’est tout ce qu’il vous faut pour le moment. En l’occurrence, vous allez probablement rendre à ces pauvres diables un fier service. La plupart devaient être déportés dans les colonies pénales d’Amérique. À présent que nous les avons perdues, il va nous falloir trouver ailleurs de nouveaux établissements. On parle de Botany Bay, en Nouvelle-Hollande, mais il ne s’agit peut-être que de rumeurs.

Il se leva et marcha jusqu’à la fenêtre.

— Je connaissais votre père. La nouvelle de sa mort m’a attristé. C’est arrivé pendant que vous étiez aux Antilles, je crois ?

Et sans attendre la réponse :

— Une mission taillée sur mesure pour lui. Il s’y serait fait les dents. Autonomie, décisions vitales à prendre sur l’instant, en jouant à chaque fois sa carrière. Tout ce dont rêve un jeune commandant de frégate, n’est-ce pas ?

— Oui, Monsieur.

Il s’imaginait son père tel qu’il l’avait vu pour la dernière fois, le jour même où il avait pris la mer pour les Antilles à bord de la Phalarope. C’était un homme fatigué, brisé, rempli d’amertume à cause de la trahison de son autre fils. Hugh Bolitho était comme la prunelle de ses yeux. De quatre ans plus âgé que Richard, dévoré par la passion du jeu, il avait tué un officier en duel. Pire, il s’était enfui en Amérique pour rallier les forces révolutionnaires ; plus tard, il avait pris le commandement d’un navire pirate contre les Anglais. Telle était la vraie cause de la mort du père de Bolitho, en dépit de tout ce qu’avait pu dire le médecin.

Il saisit son verre d’une main plus ferme. La majorité de ses parts de prise avait servi à racheter les domaines vendus par son père pour payer les dettes de Hugh. Mais rien ne pourrait racheter son honneur. Heureusement, Hugh était mort. Si jamais il l’avait revu, Bolitho l’aurait probablement tué pour ce qu’il avait fait.

— Encore un peu de bordeaux ?

Winslade semblait perdu dans ses pensées :

— Je vous envoie à Madras. Là, vous vous présenterez à… enfin, ce sera précisé dans vos ordres écrits. Rien ne sert de bavarder, ajouta-t-il. Donc, votre équipage n’est pas encore au complet ?

— Il le sera, Monsieur. Même si je dois aller jusqu’en Cornouailles.

— J’espère que cela ne sera pas nécessaire.

Winslade à nouveau vira de bord :

— Pendant la campagne d’Amérique, vous avez dû voir à quel point la collaboration entre les gouvernements civil et militaire était médiocre. Les forces qui se battaient sur le terrain n’avaient confiance ni dans l’un ni dans l’autre. Cela ne doit pas se reproduire. Pour la mission que je vous confie, c’est une escadre qui aurait fait l’affaire, sous le pavillon d’un amiral pour faire bonne mesure. Mais cela attirerait l’attention, et le Parlement ne le tolérerait pas : la paix est trop précaire. Où êtes-vous descendu à Londres ? ajouta-t-il soudain.

— Au George à Southwark.

— Je vais vous donner une adresse. La résidence d’un ami sur St James’s Square.

La mine grave de Bolitho le fit sourire.

— Allons, ne prenez pas cet air de chien battu. Il faut vous plonger dans les affaires, et laisser la ligne de bataille derrière vous. Votre mission pourra attirer sur vous d’autres regards que ceux des amiraux blasés. Faites-vous des relations. Cela ne peut que vous être utile. Je vous enverrai un courrier avec les instructions pour votre second.

Il lui lança un regard aigu :

— Herrick, si ma mémoire est bonne, comme sur votre dernier bateau.

— Oui, Monsieur.

C’était évident. Il n’avait jamais eu le moindre doute là-dessus, au cas où il obtiendrait un nouveau commandement.

— Bien, va pour M. Herrick. Il peut expédier les affaires courantes. J’aurai besoin de vous à Londres pendant quatre jours.

Il durcit le ton sans laisser à Bolitho le loisir de protester.

— Quatre jours au moins !

L’amiral observa Bolitho quelques secondes. Ce dernier mourait d’envie de retourner à son bord, il se sentait peu sûr de lui dans ce cadre majestueux. Quand il était entré dans la pièce, Winslade avait cru revoir son père, après tant d’années : grand, mince, les cheveux noirs noués sur la nuque. Mais la mèche rebelle qui descendait sur l’œil droit de Bolitho cachait quelque chose : au moment où il avait levé son verre, elle avait glissé de côté, révélant une cicatrice livide qui se prolongeait jusqu’au cuir chevelu. Winslade était satisfait de son choix. Le visage grave de Bolitho respirait l’intelligence, et aussi la compassion, malgré sept années de service en guerre. Ayant eu le choix entre une centaine de commandants, il avait tenu à prendre celui qui avait besoin d’un navire et de la mer, et pas seulement pour la sécurité que cela représentait. Ce qu’il lui fallait, c’était aussi un homme qui sût réfléchir et prendre les bonnes décisions. Pas simplement un commandant qui mettrait sa confiance dans la seule puissance de son artillerie. Le dossier de Bolitho montrait à l’évidence que cet homme s’abritait rarement derrière ses ordres écrits pour se dispenser de prendre des initiatives. Plusieurs amiraux avaient maugréé quand Winslade avait avancé son nom. Mais il était parvenu à ses fins, car il avait l’appui du Parlement, ce qui n’était pas courant.

Il soupira et prit une clochette sur la table.

— Allez-y, déménagez à l’adresse que je vous donnerai. J’ai beaucoup à faire, alors tâchez d’en profiter tant que vous pouvez.

Il agita la clochette et un laquais se présenta avec le bicorne et le sabre de Bolitho. Winslade regarda le commandant boucler l’arme autour de sa taille.

— Vieille lame, n’est-ce pas ?

Il la toucha du doigt. Elle était lisse et usée, bien plus légère que les sabres modernes.

Bolitho sourit.

— Oui, Monsieur. Mon père me l’a offerte après que…

— Je sais. Oubliez votre frère, Bolitho.

Il toucha de nouveau la garde.

— Votre famille a acquis trop d’honneur au fil des générations pour qu’il soit perdu par la faute d’un seul.

Il lui tendit la main.

— Prenez soin de vous. Croyez-moi : votre visite ici aujourd’hui va en faire jaser plus d’un.

Bolitho suivit le laquais dans le couloir, repassant dans son esprit tous les aspects de sa visite. Madras, un autre continent ; ce n’était que le début.

Chaque nautique parcouru représenterait un nouveau défi – il sourit paisiblement – et offrirait de nouvelles récompenses. Il s’arrêta un instant sur le seuil et regarda la foule et les embarras de la circulation. À lui la mer ouverte : il serait bientôt loin du bruit et de la saleté. À bord d’une frégate vive et nerveuse, il oublierait ces bâtiments ternes, prétentieux.

Une main lui touchait le bras : il se retourna et vit un jeune homme en habit bleu élimé, qui le regardait anxieusement.

— Oui ?

L’homme répondit rapidement.

— Je m’appelle Chatterton, commandant. J’étais deuxième lieutenant sur le Warrior, un soixante-quatorze canons.

Il hésita, scrutant l’expression froide de Bolitho :

— On m’a dit que vous étiez en train d’armer un navire, Monsieur, je me demandais…

— Je suis navré, monsieur Chatterton. Mon carré des officiers est complet.

— Oui, Monsieur, c’est ce que je me disais.

Il avala sa salive :

— Peut-être pourrais-je trouver une place d’officier marinier ?

Bolitho secoua la tête :

— Malheureusement, il ne me manque que de simples matelots.

Il vit la déception de l’homme se peindre sur son visage. Le Warrior avait tenu un rôle essentiel pendant la guerre. Il avait été de toutes les batailles, et son nom faisait l’orgueil de son équipage. À présent, le deuxième lieutenant de ce navire attendait comme un mendiant.

— Si cela peut vous rendre service, continua-t-il doucement en mettant la main dans sa poche, si cela peut vous dépanner un moment…

— Non merci, Monsieur, répondit l’homme avec un sourire forcé. Pas encore en tout cas.

Il remonta le col de son habit. En s’éloignant, il lui lança :

— Bonne chance, commandant !

Bolitho le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il fût hors de vue. Cela aurait pu être Herrick, songea-t-il. Ou n’importe lequel d’entre nous.

 

La frégate de Sa Majesté Undine rappelait vivement sur ses aussières sous la poussée d’un vent de sud-est fraîchissant qui levait dans le Solent des moutons d’écume.

Le lieutenant Thomas Herrick releva le col de sa grosse veste de quart et continua d’arpenter la dunette ; il plissait les yeux sous les gifles cinglantes de la pluie et des embruns qui faisaient briller comme du verre noir le gréement bien raidi.

Malgré le temps, le pont bourdonnait d’activité ; les allèges d’avitaillement et les bugalets citernes se succédaient le long du bord. Çà et là, sur les passavants et jusque sur le beaupré, les habits rouges des fusiliers marins tranchaient sur la grisaille ; ces derniers étaient censés veiller à ce que la circulation des provisions et des équipements embarqués au dernier moment se déroulât dans un sens seulement ; il y avait toujours le risque de voir un matelot troquer, par un sabord ouvert, quelque chose contre une boisson à bon marché ou d’autres faveurs attendues par des amis à terre.

Herrick sourit et se mit à battre la semelle sur le pont humide. Il en avait fait du travail en un mois, depuis qu’il avait embarqué ! D’autres se seraient plaints du temps, des incertitudes qui menacent un long voyage, de la perspective d’affronter bientôt la mer et le vent, mais lui point. L’année précédente lui avait pesé bien davantage : il était heureux, et non pas seulement soulagé, d’être derechef à bord d’un navire du roi. Il s’était engagé dans la marine avant même ses douze ans. La signature du traité avec la France et la reconnaissance de l’indépendance américaine lui avaient valu de connaître la paix pour la première fois ; et pour la première fois, il avait quitté la seule vie qu’il comprît et aimât.

À la différence de nombre de ses contemporains, Herrick ne pouvait compter que sur lui-même. Il était issu d’une famille pauvre : son père était employé dans leur ville natale de Rochester, dans le Kent. C’est là qu’il s’était rendu après avoir débarqué de la Phalarope et fait ses adieux à Bolitho ; les choses allaient beaucoup plus mal qu’il n’avait pu le craindre. La santé de son père s’était détériorée ; des quintes de toux qui le tuaient jour après jour. L’unique sœur de Herrick était estropiée, incapable d’aider utilement sa mère à la maison ; le retour de Herrick avait donc été bien accueilli, il avait cependant eu peur de se voir rejeté. Un ami du patron de son père lui avait obtenu un embarquement en tant que second à bord d’un petit brick de bornage qui couvrait la côte est et franchissait à l’occasion la Manche jusqu’en Hollande. L’armateur, un avare, entretenait un équipage si réduit qu’il suffisait à peine à la manœuvre, sans parler de la manutention de la cargaison, du chargement des allèges et des travaux courants de matelotage.

Quand il avait reçu la lettre de Bolitho accompagnée de son engagement par l’Amirauté lui enjoignant de se présenter à bord de l’Undine, il était resté trop ahuri pour avoir conscience de sa bonne fortune. Il n’avait pas revu Bolitho depuis la dernière visite qu’il lui avait rendue à Falmouth, et peut-être avait-il cru que leur amitié, forgée au milieu des tempêtes et des sanglantes bordées ennemies, ne résisterait pas au temps de paix.

Après tout, ils étaient issus de deux mondes si différents ! La grande maison de pierre de Bolitho avait semblé un palace à Herrick. Son milieu, ses ancêtres officiers de marine lui permettaient d’évoluer dans un tout autre monde. Herrick était le premier de sa famille à prendre la mer, et c’était là la moindre de leurs différences.

Mais Bolitho n’avait pas changé. Quand ils s’étaient rencontrés sur cette même dunette, un mois plus tôt, Herrick l’avait compris au premier coup d’œil. À présent il était là de nouveau, triste et calme, toujours prêt à exploser en un rien de temps avec une excitation juvénile.

Surtout, Bolitho était heureux d’être de retour à bord, lui aussi, prêt à se mettre lui-même à l’épreuve à la première occasion, ainsi que son nouveau bateau.

Un aspirant accourut à toutes jambes et salua.

— La chaloupe revient, Monsieur.

Il était petit, transi de froid. Il n’était à bord que depuis trois semaines.

— Merci, monsieur Penn.

Et, considérant le garçon sans aménité :

— J’espère qu’ils amènent des hommes. Regardez de quoi vous avez l’air ! Le commandant revient aujourd’hui !

Il continua sa promenade.

Bolitho était à Londres depuis cinq jours. Cela ferait du bien d’avoir des nouvelles, de recevoir l’ordre de quitter cette glacière.

Il regardait la chaloupe tanguer et tailler sa route au milieu des moutons ; les avirons nageaient suivant une cadence paresseuse, malgré les efforts du patron d’embarcation. Il aperçut le bicorne de John Soames, troisième lieutenant, dans la chambre d’embarcation ; il se demanda s’il avait eu la moindre chance avec les recrues.

À bord de la Phalarope, Herrick avait embarqué en tant que troisième lieutenant, et il fut promu second de Bolitho quand ses supérieurs eurent trouvé la mort au combat. Il se demanda brièvement si Soames avait réfléchi aux perspectives d’avancement qui allaient s’offrir à lui dans les mois à venir. Ce géant avait trente ans, trois de plus que Herrick ; il n’était parvenu au grade de lieutenant que sur le tard, et par des chemins détournés ; autant que Herrick pouvait se souvenir, il avait longuement servi dans la marine marchande, puis comme officier marinier sur un navire du roi. Rude, indépendant, guère facile à percer à jour, c’était un homme dont il fallait se méfier.

Tout différent était Villiers Davy, le deuxième lieutenant. Comme son nom le laissait entendre, il était de bonne famille ; et riche, et fier, passablement soupe au lait de surcroît. Herrick n’était pas non plus très sûr de cet homme, il le trouvait antipathique, mais c’était sûrement parce qu’il lui rappelait un aspirant arrogant qu’il avait connu à bord de la Phalarope. Un martèlement de pieds sur le pont : il se tourna et vit Triphook, le commissaire, arriver se courbant à cause du crachin, un volumineux registre sous son habit.

Il grimaçait.

— Sale temps, monsieur Herrick.

Il montra du geste les embarcations le long du bord.

— Maudits voleurs ! Ils dévaliseraient un aveugle, s’ils pouvaient.

— Ce n’est pas comme vous autres les commissaires, n’est-ce pas ? gloussa Herrick.

Triphook lui jeta un regard sévère. C’était un homme maigre et voûté, avec de grandes dents jaunâtres de cheval mélancolique.

— J’espère que vous plaisantez, Monsieur ?

Herrick tendit le cou au-dessus des filets ruisselants pour voir la chaloupe accoster sous les porte-haubans. Dieu du Ciel, quelle manœuvre pitoyable ! Bolitho exigerait plus de métier, et avant longtemps.

— Du calme, monsieur Triphook, lança-t-il sèchement. C’était un simple rappel. Je me souviens, nous avions un commissaire sur mon dernier bateau, un nommé Evans. Il se remplissait les poches aux dépens de l’équipage. Il leur donnait de la nourriture de mauvaise qualité, comme si les hommes n’avaient pas eu assez d’embêtements.

Triphook le regardait d’un air dubitatif.

— Et alors ?

— Le commandant Bolitho lui a fait acheter de la viande fraîche sur ses deniers. Un baril de viande fraîche pour chaque baril pourri.

Il sourit.

— Tenez-vous-le pour dit, mon ami !

— Il n’aura aucun motif pour me prendre en défaut, moi, monsieur Herrick.

Et il s’éloigna, ajoutant d’une voix qui manquait de conviction :

— Je vous le garantis.

Le lieutenant Soames se présenta à l’arrière, salua, et lançant un œil mauvais en direction du pont, fit son rapport :

— Cinq matelots, Monsieur. J’ai été sur la route toute la journée, je suis enroué d’avoir lu tous ces prospectus.

Herrick acquiesça. Il se mettait à sa place. Lui-même avait dû s’atteler à cette besogne assez souvent. Cinq matelots ! Il leur en fallait encore trente. Même alors, ils n’auraient droit à aucun mort ni blessé, bien que des pertes fussent presque inévitables au cours d’un aussi long voyage.

— D’autres nouvelles ? demanda Soames d’une voix rauque.

— Rien. Simplement, nous devons nous rendre à Madras. Et sans tarder, je pense.

— Je ne serai pas fâché de lever l’ancre. Ces rues pleines d’ivrognes, voilà qui pourrait nous procurer de la main-d’œuvre.

Il hésita un instant :

— Avec votre permission, je pourrais descendre à terre ce soir avec la chaloupe et en surprendre quelques-uns au sortir de ces fichus estaminets, qu’est-ce que vous en dites ?

Un rire strident résonna dans la batterie ; ils se tournèrent et virent une femme, dépoitraillée jusqu’à la ceinture, sortir en courant sous la pluie de sous le passavant bâbord. Elle était poursuivie par deux matelots perdus de boisson, sur les intentions desquels nul ne pouvait se méprendre.

— Dites à ce souillon de descendre ! tonna Herrick. Ou je la fais jeter par-dessus bord.

L’aspirant éberlué ouvrait des yeux ronds de surprise.

— Monsieur Penn ! ajouta-t-il sèchement. Exécution, je vous prie !

Soames eut un rare sourire :

— Vous êtes choqué, monsieur Herrick ?

Celui-ci haussa les épaules :

— Je sais qu’en principe il est réglementaire de permettre à nos hommes les femmes et la boisson quand nous sommes au port.

Il pensait à sa sœur clouée sur ce maudit fauteuil. Que n’eût-il pas donné pour la voir courir librement comme cette fille de joie de Portsmouth !

— Mais cela me dégoûte toujours.

— Sans cela, soupira Soames, la moitié de ces canailles déserteraient, qu’ils aient signé ou pas. L’attrait exotique de Madras ne fait pas longtemps le poids quand le rhum vient à manquer.

— Ce que vous avez demandé tout à l’heure, enchaîna Herrick, je ne puis vous l’accorder. Ce serait un mauvais début. Des hommes enrôlés de cette façon nous en feraient grief à jamais. Une pomme pourrie peut gâter tout le tonneau.

Soames le toisa calmement.

— Je crains que dans notre tonneau, il n’y ait que des pommes pourries. Même nos volontaires ne se sont enrôlés que pour échapper à leurs créanciers, quand ce n’est pas à la potence. Certains sont à bord pour voir sur quoi ils pourront faire main basse quand ils seront loin des autorités constituées.

— Le commandant Bolitho a toute l’autorité qu’il faut, monsieur Soames, répondit Herrick.

— J’oubliais : vous étiez sur le même bateau. Vous avez eu une mutinerie.

Voilà qui ressemblait à une accusation.

— Ce n’était pas de sa faute ! rétorqua Herrick en se tournant vers lui avec colère. Veuillez avoir la bonté de donner leur repas aux hommes et de leur distribuer les vêtements du magasin du bord.

Il attendit, lisant du ressentiment dans le regard de son interlocuteur.

— Encore une exigence de notre commandant, ajouta-t-il. Vous seriez bien inspiré de vous conformer à ses désirs. Vous aurez la vie plus facile.

Soames s’éloigna à grands pas et Herrick se détendit. Il devait prendre garde : la moutarde lui montait au nez trop facilement. Mais les critiques, même voilées, le blessaient toujours. Aux yeux de Herrick, Bolitho représentait tout ce qu’il souhaitait être. Et le fait qu’il connût certaines de ses faiblesses cachées l’attachait à lui plus étroitement encore. Il secoua la tête. En fait, il y avait quelque chose de plus profond.

Il jeta un coup d’œil vers le rivage, par-delà les bastingages ; les remparts de la batterie du port brillaient sous la pluie comme du plomb. Au delà de Portsmouth Point, la terre disparaissait dans la boucaille. Ce serait bon de partir. Sa paie allait augmenter, et aiderait les siens à la maison. Avec les parts de prise qu’il avait gagnées sous les ordres de Bolitho aux Antilles, il avait pu gagner quelques sympathies qui leur rendraient la vie plus facile jusqu’à son prochain retour… Son retour… Quand aurait-il lieu ? Dans deux ans ? Mieux valait ne pas s’attarder sur ce genre de pensée.

Il vit le mousse, penché sous la pluie, retourner le sablier à côté de la barre à roue immobile, et attendit qu’il eût piqué l’heure à la cloche. C’était le changement de quart. Il eut une grimace. Le carré des officiers ne serait guère mieux. Il y aurait Soames perdu dans ses pensées, Davy toujours prêt à sortir quelque nouvelle plaisanterie, Gilles Bellairs, le capitaine des fusiliers marins, déjà passablement soûl à cette heure du jour ; il savait que son robuste sergent pouvait s’occuper des affaires de son petit détachement ; Triphook était probablement en train de ruminer la question de l’habillement des nouvelles recrues ; c’était typique d’un commissaire : il pouvait envisager avec équanimité la perspective d’un long voyage en mer, dont chaque lieue se mesurait en porc et bœuf salé, en biscuits durs comme de la pierre, en jus de fruit destiné à prévenir le scorbut, en bière et alcool pour compléter l’eau douce qui reposerait bientôt dans les tonneaux, et les mille autres articles de sa responsabilité. Mais quant à distribuer des vêtements à des hommes encore habillés de ce qu’ils avaient sur le dos au moment d’embarquer, voilà qui ne cadrait pas avec son sens des valeurs. Il apprendrait… Herrick sourit dans le vent glacé. Tout cela se mettrait en place dès que Bolitho donnerait vie au navire.

Il y eut de nouveaux éclats de voix le long du bord et Penn, l’aspirant, le héla avec inquiétude :

— ’Mande pardon, M’sieur, mais on dirait que le chirurgien est en difficulté.

Herrick fronça les sourcils. Le chirurgien répondait au nom de Charles Whitmarsh. C’était un homme cultivé, mais dont la personnalité montrait une faille. D’après l’expérience de Herrick, la plupart des chirurgiens de navire étaient d’anciens bouchers. Qui d’autre oserait affronter les horreurs de la guerre en mer, les hommes mutilés hurlant et mourant après une furieuse bataille navale ? En temps de paix, Herrick avait espéré mieux.

Car Whitmarsh était un ivrogne. Comme Herrick se penchait pour apercevoir le canot qui dansait et bondissait sous les porte-haubans, il vit un second maître d’équipage et deux matelots qui essayaient de gréer une chaise de cordage pour aider le chirurgien à franchir la coupée. C’était un homme de forte carrure, presque aussi grand que Soames ; dans la lumière grisâtre, ses traits brillaient comme un ciré de marin.

Herrick intervint :

— Faites affaler un filet de charge, monsieur Penn. Cela manque de dignité, mais au point où il en est, juste ciel !

Whitmarsh finit par atterrir sur le pont, les cheveux en bataille, un large sourire sur la figure. Un de ses assistants et deux fusiliers marins le soulevèrent à bras-le-corps et le descendirent sous la dunette. Il allait dormir quelques heures dans sa petite infirmerie, et recommencerait à boire à son réveil.

— Est-il souffrant, Monsieur ? demanda Penn, nerveusement.

Herrick considéra gravement le jeune homme :

— Un peu éméché, mon garçon, mais assez en forme pour amputer un membre ou deux, je dirais.

Il s’adoucit et lui toucha l’épaule :

— Vous pouvez descendre. Votre relève sera là d’un moment à l’autre.

Il le regarda s’éloigner en hâte et sourit. Il avait du mal à se souvenir de l’époque où il ressemblait à Penn. Il était alors peu sûr de lui, craintif, et chaque heure qui passait lui offrait un nouveau spectacle ou de nouveaux faits propres à briser ses illusions d’enfant.

Un fusilier marin poussa un cri :

— Un canot de ronde quitte le bassin à flot, Monsieur !

Herrick approuva :

— Fort bien.

Ce devaient être les ordres destinés à l’Undine. Il laissa son regard s’attarder sur les mâts élancés, légèrement vrillés sous la tension des haubans et du gréement, sur la toile bien serrée et, sous le beaupré, sur la splendide figure de proue de l’Undine : une néréide à la poitrine généreuse qui fixait l’horizon, impassible. Bolitho allait donc revenir à bord, aujourd’hui même : Thomas Herrick n’en demandait pas plus.

 

Capitaine de sa Majesté
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